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Formation professionnelle

Des MOOC pour la formation continue des managers : entretien avec Cécile Dejoux

Grâce au numérique, les façons de former connaissent actuellement des évolutions spectaculaires et les Mooc ont le vent en poupe. Cécile Dejoux nous explique pourquoi.

On vous présente comme la prof la plus mondialisée de France et votre Mooc « Du manager au leader » a battu des records d’audience. Comment et pourquoi en êtes-vous venue à privilégier ce type d’enseignement ?

Tout d’abord, il faut savoir que j’évolue dans un environnement très favorable pour développer un enseignement par le numérique. Notre administrateur général, Olivier Faron, a positionné le numérique comme un axe de développement stratégique de l’institution. De plus, le Cnam, établissement public de formation continue, est leader en formation à distance, cela signifie qu’il existe une équipe dirigée par Philippe Dedieu, qui accompagne les enseignants à intégrer le numérique dans leurs cours en présentiel, formation à distance, ou MOOC.

En ce qui me concerne, je suis maître de conférences en gestion depuis 20 ans et spécialiste d’enseignement à distance depuis 10 ans au Cnam. Cela signifie que je fais cours, en fonction de référentiel et d’un niveau d’auditeurs. Je peux avoir entre 100 et 250 auditeurs à distance par semestre. Dans ce cadre, j’ai testé, depuis de  nombreuses années, des innovations pédagogiques à la fois en terme de contenu et de modes d’évaluation.  Aussi, lorsqu’on m’a proposé en juin 2013 de concevoir un MOOC en me donnant carte blanche. J’ai eu la grande satisfaction de concevoir le cours de mes rêves ! 

Pensez-vous que le Mooc est vraiment la voie d’avenir à la fois pour la formation initiale et pour la formation professionnelle, alors que pour le moment ce type d’enseignement semble encore chercher son modèle pédagogique ?

Resituons le MOOC dans son contexte. C’est un outil de formation supplémentaire qui enrichit la palette des modes d’apprentissage. Concevoir un MOOC demande du temps, un travail d’équipe et une remise en question de ses présupposés pédagogiques. 

“ Avec les MOOC, ce n’est plus l’entreprise qui décide ce que le collaborateur doit apprendre, c’est le collaborateur lui-même. ”

La rupture dans la formation que ce soit en formation initiale ou continue, elle ne se fait pas à cause du MOOC, qui n’est qu’un symptôme, une partie visible de l’iceberg, elle se fait dans les nouveaux modèles de pouvoir sur le contenu de la formation : avec les MOOC, ce n’est plus l’entreprise ou l’école qui décide ce que le collaborateur doit apprendre, c’est le collaborateur ou l’élève. 

L’entreprise doit se positionner face à trois nouveaux enjeux en termes de formation :

  1. Quel est son rôle en termes de politique de formation ? 

Grâce au numérique, elle pourra former presque tous ces collaborateurs. Aussi, sa mission ne sera plus uniquement de concevoir du contenu de formation mais plutôt de sélectionner et d’adapter du contenu existant à l’extérieur gratuit ou payant et proposer des parcours de formation individualisés. Comment va-t-elle utiliser les data générées par les  outils numériques ? En effet, on arrive à obtenir des données individualisées sur comment les personnes apprennent, quels sont leur niveaux de compréhension etc…Comment faire évoluer le métier de formateur interne ? 

C’est une question de fond : les formateurs qui formés à concevoir des modules avec du contenu vont devoir évoluer vers des compétences d’accompagnateur et de coach en formation tout en intégrant des compétences d’animation ou d’élaboration de conception d’outils numériques. Les entreprises vont devoir réfléchir à la façon de réussir cette transformation de métier.

  1. Comment valoriser les initiatives de formation personnelles ? 

En termes de recrutement et de gestion de carrière,  les entreprises vont devoir se positionner sur la reconnaissance des personnes ayant validé des MOOC externes, sur les modes d’évaluation  des collaborateurs qui se seront formés sur leur temps personnel avec des MOOC qu’ils auront choisis. Elles devront également décider de faire ou pas des MOOC en interne (coûts non négligeables)  et pourquoi pas s’associer avec les universités, les écoles, les startup qui ont lancé des MOOC et imaginer des séances en présentiel d’appropriation. Par exemple, le Cnam a été sollicité pour répondre à ce type de demande. 

  1. Quels sont les critères de réussite d’un Mooc ?  Et les erreurs à ne pas commettre ?

Il n’existe pas un modèle unique de MOOC. Les MOOC s’élaborent en fonctions de l’objectif poursuivi : image de marque, recherche de spécialiste, création d’une communauté d’experts, recrutement, diffusion d’une connaissance spécifique, prototype, partage de connaissance, etc.

Faire un MOOC ne suffit pas, cela doit être une occasion rêvée de repenser ses cours en présentiel et de réaliser de la numérisation, du rythme...

Aussi, ma réponse est contextualisée au MOOC que j’ai élaboré «  du manager au leader 2.0 » et dont les inscriptions sont ouvertes sur FUN depuis le 15/11/14.

A mon avis, les raisons du succès de ce MOOC sont : 

- Le thème qui ne se concentre pas sur une thématique de cours mais sur l’acquisition de compétences professionnelles réutilisables immédiatement dans tous les métiers : comment manager, décider, motiver, évaluer les talents, intégrer le numérique et devenir un leader.

- La scénarisation du contenu

  • qui relativise la part donnée aux vidéos (acte passif),
  • qui s’appuie sur des évaluations en contexte conçues autour de situations et de prises de décision,
  • qui invite à des échanges sollicités sur des retours d’expériences sur 3 réseaux sociaux dédiés et animés avec un community manager (Facebook, LinkeDin, Google +),
  • et qui inclue une rencontre synchrone hebdomadaire.

- Le rythme  et le style de MOOC. Plus précisément, toutes les ressources ont été pensées pour être réalisées et validées dans le temps de 4 stations de métro. Mon idée de départ était de concevoir une ressource 100% nomade, que l’on ferait avec plaisir. En effet, apprendre seul nécessite de ressentir du plaisir, voir d’avoir l’impression d’avoir une relation unique et individualisée avec l’enseignant et sa communauté.

En ce qui concerne les erreurs à ne pas commettre, j’ai un avis assez tranché sur cette question et il se fonde sur mon expérience subjective. Il faut le relativiser en fonction de chaque contexte. 

Tout d'abord, les enseignants qui font des MOOC seront d’autant plus convaincant et « à l’aise » qu’ils auront au préalable réalisé des cours à distance car le saut entre le présentiel et le MOOC amène à faire des erreurs de débutants.

Ensuite, faire un MOOC ne suffit pas, cela doit être une occasion rêvée de repenser ses cours en présentiel et de réaliser de la numérisation, du rythme, voir de la classe inversée (on arrive en séance de présentiel en ayant parcouru des ressources vidéo, livres, articles, cas et le regroupement sert à des travaux de groupe de réappropriation).

Enfin, faire un MOOC sur son thème de cours ne paraît pas opportun et représente un risque de cannibalisation des cours en FOD existants. En tant qu’enseignant-chercheur, je suis convaincue qu’il faut réaliser des MOOC sur des nouveaux thèmes centrés sur des compétences professionnelles qui ne sont pas dans les référentiels de diplôme. Ouvrons les champs de l’apprentissage, utilisons les MOOC pour faire de la transversalité et décloisonnons nos disciplines et thématiques.

Comment réagissez-vous aux critiques des détracteurs de ce type d’enseignement, comme par exemple Pascal Engel qui n’y voit pas moins « qu’une arme de destruction massive de l’enseignement supérieur » ?

Il faut des détracteurs car cela prouve qu’il y a un débat autour d’un vrai sujet de fond, un sujet qui dérange. Ensuite, tout progrès est un choix et un choix un renoncement et/ ou une adaptation. La question n’est pas : « est-ce que le MOOC est une arme de déstructuration massive ? » car de toute façon, les MOOC existent au niveau international et la France se doit de suivre cette tendance. A mon avis la question à se poser est plutôt « comment utiliser les MOOC pour que notre système d’enseignement supérieur soit plus efficace et reconnu au niveau international ? ». 

En d’autres termes, les MOOC posent le débat sur la valorisation de la pédagogie dans une carrière d’enseignant-chercheur. Ils mettent en évidence l’importance d’innover en matière d’enseignement si l’on veut encore intéresser des publics comme la génération Y et des étudiants étrangers qui ont le choix entre plusieurs institutions d’accueil. Comment avec les MOOC et d’autres ressources numériques comme les sérious game, la gamification, la classe inversée et la valorisation du présentiel, peut-on former plus de personnes, en initiant des parcours individualisés et en optimisant les performances d’apprentissage grâce aux analytics ?

La nouvelle version de votre Mooc « Du manager au leader 2.0 a été lancée en février. Elle s’est enrichie d’un volet montrant en quoi le digital transforme le métier de manager. Pouvez-vous nous en dire plus là-dessus ?

Cette deuxième session s’adresse au plus grand nombre, quel que soit le métier (assistant, manager, commerciaux, cadres, agent de maîtrise, dirigeants, entrepreneur, commerçants, profession réglementée ou auto-entrepreneur, étudiant, mère au foyer, bénévole etc.) et le secteur d’activité. Elle peut être suivie par des collaborateurs d’une même entreprise, sachant le Cnam, vient de créer une division B to B qui aident les entreprises à créer ou utiliser les MOOC du Cnam.

Elle reprend le contenu de la première session : histoire, grilles d’analyse, mise en situation, processus, outils, conseils, témoignages autour de cinq thèmes : 

  1. Qu’est-ce que manager ?
  2. Comment décider ?
  3. Comment motiver ?
  4. Comment développer les talents de ses collaborateurs ?
  5. Comment devenir un leader ou pas ? 

Et vient s’enrichir d’une nouvelle thématique : « En quoi le numérique transforme t-il le métier de manager ? » qui comprend un cours et des témoignages exclusifs de : 

  • Alain Crozier : Président de Microsoft France
  • Philippe Guillemot : DG d’Alcatel Lucent
  • Caroline Jessen : DRH de Cisco
  • Karine Boullier : Directrice Marque Employeur de Sanofi et DG de l’Observatoire des Réseaux Sociaux
  • Laurent Reich : Directeur international du Learning chez L’OREAL
  • Gérald Candelle : Directeur du recrutement de l’Alliance Française

Un nouveau système d’évaluation est proposé: Etre évalué non pour ses connaissances mais pour les décisions prises. Les questionnaires sont repensés dans une logique de prise de décision situationnelle et non dans une logique de juste ou faux.

Un plan d’aide au suivi du MOOC : A chacun son mode d’apprentissage. Il est proposé plusieurs parcours : ceux qui veulent aller à l’essentiel, ceux qui veulent apprendre surtout avec des témoignages, ceux qui veulent voir la théorie et les modèles

Le livre du MOOC dans la collection topo est également proposé pour ceux qui veulent aller plus loin : Management et Leadership, Dunod, topo, 2014

Donc, à bientôt et n’hésitez pas à me donner vos feedback si vous suivez ce MOOC, ce sera une très belle occasion pour progresser !