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Politique monétaire européenne : le jour d’après…

Il y a 50 ans, The Beatles chantaient « I’m so tired, I haven’t slept a wink / I’m so tired, my mind is on the blink / I wonder should I get up and fix myself a drink » : l’histoire ne nous dit pas s’il est arrivé à Mario Draghi de fredonner ces paroles au cours des dernières années, tant son mandat de Président de la BCE aura été animé. Et sa dernière allocution de politique monétaire du 12 septembre dernier a une nouvelle fois suscité l’intérêt des investisseurs, des politiques et des observateurs.

Comme cela était attendu, Mario Draghi a confirmé le virage très accommodant de la BCE dans un contexte économique de plus en plus fragile, où « le ralentissement observé pourrait durer plus longtemps que prévu » : les dernières projections des experts de la BCE ont été révisées à la baisse par rapport à celles du mois de juin, que ce soit sur la croissance économique de la zone euro (+1,1 % en 2019, +1,2 % en 2020 et +1,4 % en 2021 contre respectivement +1,2 %, +1,4 % et +1,4 %) ou sur l’inflation (+1,2 % en 2019, +1,0 % en 2020 et +1,5 % en 2021 contre respectivement +1,3 %, +1,4 % et +1,6 %). Trois mesures ont ainsi été annoncées, outre le maintien du principal taux directeur à son plus bas historique de 0 % :

  • une réduction du taux sur les facilités de dépôts des banques commerciales de -10 points de base de -0,4 % à -0,5 % (une première depuis mars 2016) avec toutefois la mise en place d’un système de taux dégressifs qui permettra aux banques d’un peu moins souffrir de cette situation de taux négatifs (notion de « tiering » : concrètement à partir du 30/10/2019, les liquidités des banques au passif de la BCE excédant 6 fois les réserves obligatoires -environ 132 milliards d’euros au 10/9/2019- se verront appliquer le taux négatif de -0,5 %) ;
  • un allongement de la durée des TLTRO III, de deux à trois ans, avec une réduction des taux d’intérêts applicables à ces prêts géants à destination des banques (ils pourront dans certains cas être aussi bas que le taux d’intérêt moyen sur les facilités de dépôts soit -0,5% : lire le communiqué de presse de la BCE) ;
  • l’activation d’un nouveau programme d’assouplissement monétaire (QE2) qui se traduira par des rachats d’actifs pour un montant de 20 milliards d’euros tous les mois à partir du 1er novembre prochain. Le Conseil des gouverneurs prévoit d’avoir recours à ce programme aussi longtemps que nécessaire. Bien que Mario Draghi ait précisé dans son allocution que le Conseil des gouverneurs de la BCE n’avait pas eu besoin de recourir à un vote formel pour adopter cette dernière mesure, celle-ci n’a clairement pas fait l’unanimité : à titre d’illustration, Klass Knot, Président de la Banque centrale néerlandaise a indiqué dans un communiqué que le QE2 était « disproportionné par rapport à la conjoncture économique actuelle » ; Jens Weidmann, Président de la Bundesbank, a déploré le fait que « ces mesures vont trop loin » et qu’elles constituent une « menace pour la stabilité financière » (lire l’interview).

Au-delà de l’annonce de ce train de mesures accommodantes, Mario Draghi a tenu à délivrer deux messages qui ne peuvent qu’interpeller :

  • les rendements de la politique monétaire seraient décroissants : l’ajout de mesures de soutien engendrerait des effets positifs de moins en moins perceptibles sur la croissance économique, retardant ainsi la convergence de l’inflation vers sa cible. Car de fait, la politique monétaire ne peut à elle seule contrer le ralentissement européen. Et Mario Draghi d’implorer par conséquent les gouvernements disposant de marges budgétaires, Allemagne en tête, d’agir de manière rapide er efficace pour que l’impact de la politique monétaire soit total (appel qui devrait toutefois rester lettre morte à en croire le budget allemand présenté le 10 septembre dernier qui vise une nouvelle fois le schwarze Null, c’est-à-dire l’équilibre) ;  
  • récemment des économistes reconnus, anciens membres imminents de banques centrales (Stanley Fischer, ex Président de la Banque d’Israël et ex vice-Président de la Banque centrale américaine, Philippe Hilderbrand, ex gouverneur de la Banque nationale de Suisse) ont soutenu la proposition d’un « QE4people » (appelé également « helicpoter money ») qui consisterait en des versements de liquidités directement aux entreprises et aux ménages sans passer par le canal traditionnel de transmission de la politique monétaire (le système financier). Si Mario Draghi s’est clairement opposé à cette idéegiving money to the people is a fiscal task and no a monetary task ») il a quand même indiqué qu’il reviendrait à son successeur, Christine Lagarde, de mener à bien une revue stratégique du cadre monétaire qui pourrait aboutir à la création de nouveaux instruments et la fixation de nouvelles cibles.

Il y a 50 ans, The Beatles concluaient leur chanson par « I’d give you everything I’ve got for a little peace of mind ». Certes le mandat de Mario Draghi est arrivé à son terme : parviendra-t-il pour autant à trouver une certaine tranquillité d’esprit ? De toute évidence, l’action menée par Mario Draghi au sein de la BCE a poussé la zone euro dans une nouvelle ère, celle où la politique non conventionnelle est devenue conventionnelle et celle où les débiteurs s’enrichissent et où les créanciers s’appauvrissent. Pour le meilleur et pour le pire en définitive !

>> Consulter le Medef Actu-Eco du 19 septembre 2019